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La Ferme des Tours à Blandy

L’intérieur du château devenu ferme
Dessin de V. Mohler en 1901 (d’après G. Wille 1777)

Le Maréchal de VILLARS possédait depuis peu le château de Vaux vendu par la veuve de Nicolas Fouquet quand, après le décès de la Duchesse de Nemours en 1707, il achète également le château et les terres de Blandy. C’est à lui que nous devons le début du délabrement et la transformation en ferme du Château de Blandy.

En 1764, César Gabriel de CHOISEUL-PRASLIN (1712-1785) achète le duché-pairie de Vaux-Le-Villars, qu’il rebaptisera Vaux-le-Praslin. Négligé à la Révolution comme bien national, le château de Blandy demeurera en l’état et donc une ferme pour encore longtemps.

Un bail à loyer reconduit plusieurs fois à Jean-Baptiste JOZON

Jean-Baptiste JOZON est issu d’une famille de fermiers. Il naît à la ferme Mimouche à Milly-les-Granges (Sivry-Courtry) le 26 mars 1757 de Paul JOZON, laboureur originaire de Yèbles, et d’Anne Élisabeth BARDOU. Son grand-père paternel Jean JOZON était laboureur-fermier de Sussy-le-Château et son grand-père maternel Simon BARDOU, laboureur-fermier à la ferme du Château de Blandy..

Veuf de Charlotte HEURTOIS, Jean-Baptiste JOZON, épouse en secondes noces en 1811 Marie Virginie MASSON (1787-1858), la fille du notaire de Blandy. Il sera maire de 1800 à 1821 et décèdera à Blandy à l’âge de 85 ans, le 14 juillet 1842.

Le deuxième bail attribué à Jean-Baptiste JOZON en 1791

Le 27 novembre 1791, le bail à loyer pour neuf années, qui lui est octroyé par Renaud César Louis de CHOISEUL-PRASLIN (1735-12/1791), fait suite au précédent bail de neuf années également qu’il avait pris « en transport » au décès de son père Paul Jozon (1731-1782) survenu deux mois après la signature du contrat chez le notaire CHAMBLAIN de Melun le 16 mars 1782.

Extrait du Bail de 1791 chez Maitre Masson à Blandy
décrivant les bâtiments de la ferme du château – AD77

Le contrat précise : « … les preneurs reconnaissent que lors de leur entrée les bâtiments leur ont été donnés en bon état de réparations » et « s’il convient faire de grosses réparations et reconstructions aux bâtiments dudit château ensemble à ceux des pressoir et colombier…les preneurs seront tenus de les faire sans aucune diminution du loyer ni dédommagement et intérêts ».

« Outre les charges et conditions le bail est fait moyennant la somme de 3660 livres par an de loyer et fermage dont 150 livres pour le pressoir, 530 livres pour le champart et le surplus pour ferme, colombier, terres, prés, vignes, bois ».

 

La somme de 3660 livres sera exigée en trois termes, Noël, Pâques et Pentecôte.

De plus, en raison du décret de l’Assemblée nationale qui a supprimé la dime et la taille (nous sommes après la révolution de 1789 !), un compte minutieux est réalisé sur les récoltes de l’année précédente faites par Jozon car exemptes de ces impôts et aussi sur « la récolte des semences présentement en terre avec la même franchise ». Ce qui monte pour la récolte de l’année passée à la somme de 648 livres 7 deniers, et pour celle de l’année suivante à 500 livres 7 deniers. Mais sera soustraite à ce montant total la somme précise de 337 livres 17 sols 6 deniers. Evaluée à l’amiable entre les parties, cette réduction représente « les indemnités qui étaient dues au sieur Jozon à cause de la dévastation du colombier (Note 1), et de la suppression du jeu de quilles au bâton (Note 2) »

Le colombier au milieu 17ème siècle (à droite)
Tableau propriété de la commune, exposé au Château

Les comptes spéciaux post-Révolution n’auront plus à être faits à l’avenir et Jean-Baptiste JOZON gardera la gestion de la « Ferme de Blandy » pendant plusieurs décennies, le bail à loyer lui ayant été reconduit plusieurs fois.

Les terres, prés, bois, pâtures, listés au bail de 1791 se trouvent répartis sur tout le territoire autour de Blandy. Plusieurs pièces, les plus grandes, font de 30 à 40 arpents et la plupart des autres quelques dizaines de perches. (Un arpent égale 100 perches carrées et un demi hectare environ). Quelques terres, futaies et prés se trouvent également sur le village voisin de Fouju.

On a d’ailleurs noté d’âpres discussions menées par Jean-Baptiste JOZON dans ses fonctions de maire lors de l’établissement précis de la délimitation entre les deux communes en 1812.

 

Note 1 : « Dévastation du colombier » : Il est ici fait allusion à ce qui correspond par ailleurs dans le bail à la mention « colombier dans lequel il reste peu de pigeons ». En effet, le jour du 10 octobre 1789 un détachement de la Milice Nationale de Paris est venu demander des grains pour l’approvisionnement de la ville de Paris. Les grains avaient déjà été menés au grenier de Melun, mais ce détachement en a exigé d’autres auprès du curé et de plusieurs fermiers, qu’ils ont finalement réussi à obtenir par la menace. Certains ont ensuite donné des coups de pied dans la porte du Colombier pour faire sortir les pigeons tandis que d’autres tiraient et en tuaient un grand nombre qu’ils ont emportés. (Registre municipaux)

 

Note 2 : « Suppression du jeu de quilles au bâton ». Au temps seigneurial, un bail à loyer était attribué, comme en 1688 par la Duchesse de Nemours, pour un jeu de quilles que l’on devait abattre avec un bâton, un divertissement apprécié lors des foires.

 

La lecture des douze pages du contrat de 1791 qui dénombrent les biens loués, s’avère délectable tant les noms des lieux-dits où se trouvent les parcelles sont poétiques et imagés : La Haye de la Cour, La Huche, Le Poirier Cornu, L’Orme aux Loups, La Fosse à la Reine, La Haye Renard, La Vermeneuse, Le Pré de L’Étang, etc.

Beaucoup des noms de lieux-dits subsistent sur cette carte actuelle

Le quatrième bail attribué à Jean-Baptiste Jozon en 1809

Le 19 juin 1809, « le bail de la ferme du château de Blandy », dressé par le notaire impérial Charles MASSON de Blandy, est à nouveau donné à Jean-Baptiste Jozon pour neuf années, cette fois par Charles Raynald Laure Félix de CHOISEUL-PRASLIN et sa sœur mineure dont il est le tuteur, Lucie Virginie de CHOISEUL-PRASLIN, héritiers d’Antoine César CHOISEUL-PRASLIN, leur père décédé en 1808. Ce bail est passé pour la période du 1er mars 1810 au 1er mars 1819. Il fait suite au troisième du 31 octobre 1800 (13 Brumaire An IX).

 

Jean-Baptiste Jozon profitera de ce quatrième bail au prix de 3700 francs par an payable en trois termes Noël, Pâques et Saint Jean-Baptiste, en argent ou en nature soit 148 septiers de bled froment « du cru de ladite ferme », équivalent à « quatre cent quarante-quatre demy hectolitres » au choix des bailleurs.  Ainsi, pour le premier terme qui ne sera payable qu’à Noël 1811, il déboursera 1233 francs 33 centimes ou devra faire conduire et monter à ses frais « 148 demy hectolitres de bled » dans les greniers du Château de Praslin.

Les bâtiments

La description des bâtiments loués en 1809, est plus détaillée que celle de 1791 : « le corps de ferme distribuée en un fourny , cuisine, salle et chambre basse, plusieurs chambres hautes au-dessus, écurie, vacherie, bergeries, granges, laiterie, toits à porcs, poulaillers, hangars, le tout couvert de tuiles et autres logis nécessaires au logement du fermier, de ses bestiaux, grains, fourrages et attirails, cour au milieu desdits bâtiments, fermée par iceux et par des anciens murs de clôture, une seule porte charretière pour son entrée, le tout entouré de très grands fossés à sec sur les berges extérieures desquels et en dedans M. et Melle de Praslin ont fait planter des arbres de différentes essences en l’année dernière lesquels sont réservés».

Nous trouvons en effet aux délibérations du conseil municipal du 2 février 1807, après la réception d’une lettre du préfet, l’accord donné par « la commune qui verra avec la plus grande satisfaction la plantation d’arbres…qui participera à l’embellissement de la commune ».

Le château toujours entouré d’arbres au début du 20ème siècle

Ne sont pas non plus concernés par le bail les arbres plantés sur le terrain où se trouve le colombier, terrain lui aussi réservé par les propriétaires mais pas le colombier lui-même.

Des obligations très strictes sont inscrites au bail concernant les arbres sur tous les bois et terres de la ferme, pour leur « tonsures », plantation, entretien et remplacement éventuel.

 

Les 25 articles du bail développent les charges et conditions et détaillent également l’entretien à faire aux bâtiments, pressoirs, colombier, terres ainsi que les « menues réparations locatives selon l’usage ». L’article cinq indique déjà expressément que le preneur devra les faire en y consacrant obligatoirement la somme de six francs par an et fournir aux propriétaires les quittances des paiements.

Tout en reconnaissant que M. et Melle de Praslin doivent entretenir les bâtiments afin que le preneur soit toujours « clos et couvert », le bail mentionne qu’ils ne sont obligés à rien concernant les tourelles et tours dont nous savons qu’elles ont été ôtées par le maréchal de Villars au début du 18ème siècle.

La ferme du château plus tard, vers 1858
Lithographie de Charles Fichot- Fiche pédagogique AD77

Le grand colombier couvert de tuiles, a été restauré par les propriétaires et garni de pigeons après la dévastation des années précédentes (note ci-dessus). Il fait bien partie des items loués en 1809. Le sieur Jozon est d’ailleurs tenu de fournir en juillet ou en août de chaque année, en leur château, vingt-quatre paires de pigeonneaux à M. et Melle de Praslin. Sans oublier les huit poulets, « le tout, gros, vifs et en plumes ».

 

Les deux pressoirs

 « Les pressoirs de Blandy », qui viennent d’être rétablis et en bon état, sont compris dans le bail mais les propriétaires se réservent le droit d’en disposer, soit de l’un ou des deux, pour les vendre, les supprimer ou autre usage. Le preneur obtiendra une diminution de loyer de 200 francs par an pour le retrait des deux ou de 100 francs pour un seul.

 La description en est faite pour exiger l’entretien des différentes pièces : « les deux baignoires, chantiers, contre mat et grès existants, de les remplacer en cas de manque et de fournir les aiguilles nécessaires, les moutons, la graisse et autres objets servant à faire travailler les dits pressoirs ». Précision est même donnée concernant le nettoyage qui sera fait au plus tard quatre jours après le dernier pressage du raisin ou des pommes en enlevant les marcs pour éviter d’endommager les bois. Ces marcs ne seront pas perdus, car ils doivent servir d’engrais pour les terres ou prés de la ferme.

Les terres de la ferme

L’ensemble comprend le Grand Jardin situé derrière les pressoirs pour une contenance donnée avec les nouvelles mesures et toujours leur équivalent en anciennes soit un hectare soixante-dix-neuf ares soixante centiares dont un tiers environ est en vigne, un autre tiers en pâture et verger et le reste constitué par un jardin potager planté d’arbres nains en quenouilles, un pré et un passage pour y accéder.

Le Grand Jardin derrière les bâtiments des pressoirs au milieu du 20ème siècle

85 hectares de plus rassemblent des terres labourables, prés, bois taillis et pâtures situés sur le territoire de Blandy, de Fouju et environs.

Sur le terroir de Blandy, nous ne comptabilisons pas moins de 37 parcelles. Douze se comptent en hectares, les plus importantes pour seize hectares à la Grande Couture et à la Petite Couture, huit hectares à la Huche, neuf hectares à la Vermeneuse, six hectares à la Fontaine Chopin, quatre hectares au-dessus des Ligneux. Les 25 autres parcelles font de 65 ares au-dessus du Rôle à 6 ares à la Fontaine Chopin.  

Six pièces de terres et prés se trouvent au terroir de Fouju se limitant à 65 ares d’un pré sur la prairie entre Fouju et Champeaux, 51 ares de terre au lieu-dit Le Lavoir et quatre autres plus petites de 17 ares de pré aux Prés Hauts, douze ares de terre et quatre autres au Réage, neuf ares de pré aux Prés Moteux.

On peut imaginer le temps nécessaire à cette époque pour se rendre sur ces différents lieux assez éloignés du cœur de la ferme. A Blandy, c’était le lot de tous les fermiers et cultivateurs qui avaient à exploiter des parcelles de surface plutôt modeste.

L’ancien château bien communal n’est plus une ferme

L’entretien de « l’ancien château » a-t-il été assidument réalisé par le fermier JOZON et ensuite, selon les termes du contrat ? Toujours est-il que les bâtiments situés à l’intérieur des ruines du château, destinés à l’habitation du fermier et des animaux, sont toujours en place malgré leur très mauvais état en 1883 quand la commune de Blandy devenue propriétaire des lieux décide de leur destruction et de la vente aux enchères des matériaux.

Le 9 novembre 1884, après une première vente « la somme de 636 francs sera employée à faire exécuter par voie de régie et par les ouvriers nécessiteux de la commune…différents travaux d’appropriation ».

Les ruines vides du château de Blandy.