L’empreinte napoléonienne est encore apparente dans l’histoire du village de Blandy, on la constate d’abord en mesurant l’impact démographique des campagnes militaires. On la retrouve aussi à travers un patrimoine mémoriel souvent oublié.
Mais le souvenir de la saga napoléonienne est également incarné par le baron d’Empire, Laurent SCHOBERT, qui s’est retiré à Blandy pour ses trente dernières années.
La contribution de Blandy à l’effort de guerre
La contribution du village à l’épopée napoléonienne, c’est d’abord le sacrifice des 20 morts parmi les conscrits de Blandy.
De 1804 à 1808, l’effectif des tués apparait au départ « relativement modeste » avec 6 tués : Pierre MATHIEU dans l’Armée des Côtes à l’Hôpital de Toulon, Isidore VAUTHIER tué à Austerlitz en 1805 ; Jean François PETIT disparu en 1806 ; Gabriel DHUY mort à Posen en Pologne en 1807 ; Pierre Denis PEZE mort en Prusse en 1807 ; Jacques Alexandre THIÉBAULT mort à Dantzig en 1808.
De 1809 à 1812, c’est surtout la Campagne d’Espagne qui génère les victimes blandynoises les plus nombreuses avec 8 tués au front ou décédés à l’hôpital :
Claude François LÉCUYER (Pampelune 1809) ; Joseph DEMANCHE (Miranda 1808) ; Jean-Baptiste Antoine BLANCHARD (1808) ; Pierre LEJEUNE (Bayonne 1808) ; Léon COURCIER (Ronda 1810) ; Nicolas André CHAILLOU (1811 Hôpital de Bordeaux) ; Jean-Baptiste CORNU (Burgos 1812) ; Jacques Merry CHARTRAIN (1812) ; Jacques CHERTEMPS (Burgos 1813).
En 1814, avec la Campagne en Hollande ce sont encore 4 tués :
Louis Pierre Thomas LUCAS ; Jacques Pierre CHAILLOU (Berg-op-Zoom) ; Antoine François THIBAULT (Berg-op-Zoom) ; Jean-Baptiste Julien BONVALET (Hôpital de Mézières) ; François TESTEFORT (Hôpital de Paris).
La mémoire des 8 déserteurs blandynois est évidemment moins douloureuse, car ils seront de retour au village :
Michel Maurice MOUTON (avril 1814) ; Pierre Vincent BEAUGELET (mai 1814) ; Amable Gabriel CHAPELAIN (juin 1814) ; Claude François BATICLE (mai 1814) ; Bernard CHARTRAIN (juin 1814) ; Nicolas Charles DELASGUESNE (mai 1814) ; Jean Étienne CANU (juin 1815) ; Jean Joseph MARCHAL (juillet 1815).
Avant 1814, les déserteurs et réfractaires étaient plus rares et punis d’amendes sévères. Toutefois leurs familles pouvaient relever du système dit des garnisaires. Elles devaient alors loger des militaires à leurs frais ou assurer les frais d’auberge.
En 1811, le maire de Blandy est averti par le préfet de l’application de cette mesure à l’encontre de la famille du réfractaire BERJONVAL.
Outre les impôts levés durant les campagnes napoléoniennes, ce sont les charges liées à l’occupation des Alliés contre la France qui laissent des traces. Ainsi le maire Antoine HUCHERARD doit encore régler un litige à ce titre en 1827, du fait de la réclamation soulevée par le fils du notaire, le Sieur MASSON.
Un héritage mémoriel souvent pittoresque
Comme dans toutes les communes, l’État civil promeut des prénoms démontrant une sympathie bonapartiste ou fidèle à l’esprit de la Révolution. Par exemple en 1805, on acte la naissance de Georges Napoléon HAPPEY ou d’Hubert Victor Romulus MARAND.
Par ailleurs, mais aussi conséquence des campagnes militaires, on relève qu’en 1801 un soldat autrichien prisonnier, Michel DERIMENTICHE obtient un certificat de bonne conduite pour épouser la blandynoise, Anne Julienne COLLINET. Dans un contexte, il est vrai différent Jean-Baptiste MORISSET propriétaire aisé demeurant à Blandy place du Colombier, reçoit la demande en mariage de sa fille émanant d’un officier mamelouk en garnison à Melun. Il n’y donnera pas suite préférant marier ensuite sa fille à un notaire parisien. Dans cette même famille Morisset, durant une bonne partie du XIXe siècle, la prudence s’imposait pour afficher ses convictions bonapartistes. Le baromètre de la famille était surmonté d’une couronne royale qui se dévissait et pouvait être remplacée par un aigle impérial.
Plus modestement diverses familles conservaient des souvenirs napoléoniens. C’est le cas de cette plaque de cheminée retrouvée dans une ancienne ferme proche de l’église et rappelant toute l’efficacité de l’artillerie impériale.
La retraite désargentée d’un baron d’Empire, le général Schobert
Outre les prestigieux occupants du Château, l’histoire du village de Blandy est parsemée de notables, avocats en parlement, militaires, bourgeois et autres personnages aisés venus y investir ou s’y retirer.
L’intérêt pour le baron Schobert s’est manifesté à Blandy à l’époque récente vers 1988 quand, après de lourds travaux sur la maison, les propriétaires M. et Mme Georges GÉRARD ont souhaité en connaître davantage sur une personnalité qui avait habité leur propriété, acquise en 1979.
Les premières investigations ont été entreprises par Henri Hanneton qui a beaucoup consacré de son temps de retraité à Blandy pour mener des recherches sur le village. Son travail et ses contacts sont à l’origine de la pose de la plaque inaugurée le 16 septembre 1990, jour des portes ouvertes des monuments historiques. Plus tôt dans l’après-midi, avait eu lieu dans le cimetière de Blandy l’inauguration de la sépulture rénovée par l’Association pour la Conservation des Monuments Napoléoniens.
Le baron Laurent Schobert, blandynois
Le baron Schobert mis à la retraite en 1815 après 36 années de service, achète la maison de la Grande Rue de Blandy le 25 janvier 1816 à Jean Augustin Romain GITTARD, menuisier issu d’une famille qui porte un nom familier aux oreilles des blandynois depuis longtemps et qui avait fourni un architecte du roi et le charpentier de Vaux le Vicomte. Le baron déboursera 7000 francs pour cet achat payé en deux fois sur deux ans.
À noter qu’avant d’être la propriété de Romain Gittard, pour quelques années seulement, de 1811 à 1816, cette maison avait appartenu dès 1804 à Jacques DUVERGER notaire et avocat de Melun, dont la fille a épousé en 1809 Abdahla D’ASBONNE, capitaine instructeur au corps des mamelouks caserné à Melun. L’acte de vente de 1811 précise que la maison est vendue par M. Jacques Duverger, M. Abdahla Dasbonne et Joséphine Duverger son épouse.
Le baron Schobert occupera la maison de la Grande Rue jusque peu de temps encore avant son décès à Paris le 30 avril 1846. C’est sa fille Clémentine Justine, épouse Charles ROTIVAL marchand de bois à Coulommiers, propriétaire par licitation qui vendra en septembre 1846.
En octobre 1816 est célébré à Blandy le mariage de la sœur de la baronne, Marie Geneviève HERBAULT avec le notaire du village Athanase Jean MASSON, successeur de son père et plus tard en 1826 à l’origine de l’affaire dite des comptes Masson qui occupera longtemps le maire HUCHERARD et le préfet de l’époque. Masson fils réclamait l’indemnisation pour l’occupation militaire en 1815 due mais non perçue, selon lui, pas son père.
A la naissance d’Agathe Louise, fille du baron Schobert en 1817, le registre d’état civil montre trois signatures de notables de la période : celle du père, le baron Laurent Schobert, de Masson notaire, et du Maire Jozon.
Cinq de ses neuf enfants naîtront à Blandy. Plusieurs malheureusement y mourront en bas âge. De 1822 à 1824 quatre de ses filles décèdent. Sur les actes d’état civil des registres de Blandy on relève ses titres et distinctions : « baron Laurent Schobert, commandeur de la Légion d’Honneur, chevalier de Saint-Louis et de la Couronne de Fer. »
En 1821 des procès-verbaux de clôture de compte du Bureau de bienfaisance signés du baron Schobert montrent qu’il s’est impliqué dans la vie du village. Trésorier du Conseil de Fabrique de la paroisse de Blandy, il en devient ensuite le Président, fonction qu’il occupa jusqu’à son décès.
Qui est Laurent Schobert ?
Laurent Schobert est né le 30 avril 1763 à Sarrelouis où le régiment de Diesbach est en garnison. Son père est armurier dans ce régiment suisse au service de la France (capitulation de 1690).
Il a épousé à 45 ans, Anne Geneviève Josephe HERBAULT, 22 ans, le 7 juin 1808, alors qu’il était au sein de la Grande Armée, 4ème Corps, 1ère Division, 3e régiment de ligne, stationné à Prenzton – Province prussienne.
Le militaire – sa carrière
« Le parcours de Laurent Schobert a été une véritable aventure, une marche militaire. Enfant de troupe dans l’infanterie, major, aide de camp puis colonel, et enfin général de brigade.
Il est un soldat sorti du rang, sous-officier, puis officier supérieur qui se distingue par son courage et son sens du devoir : deux blessures, deux fois prisonnier de guerre, quatre décorations témoignent de son engagement et de sa bravoure. L’enfant de troupe accède à la noblesse avec le titre de baron d’Empire.
Il sert plusieurs régimes : la Monarchie, la Monarchie constitutionnelle, la Terreur, le Directoire, le Consulat, l’Empire, ainsi que la première Restauration de Louis XVIII et Napoléon lors des Cent-jours. Il participe à plusieurs campagnes qui l’emmènent aux quatre coins de l’Europe : la Bavière et l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, la Pologne, ainsi que l’Espagne. Ses adversaires étaient les coalitions contre la France révolutionnaire puis impériale : les Prussiens, les Autrichiens, les Russes, les Espagnols[1]. »
Enfant de troupe au Régiment de Nassau-Sarrebruck en 1770 à l’âge de sept ans. Engagé comme soldat en 1776, sa première campagne fut celle de Genève en 1782. Il devient caporal en 1784, sergent fourrier, puis sergent major. Il fait les guerres de la révolution. Il obtient ses premiers galons de capitaine en 1793 dans l’armée de la Moselle. Puis il sera nommé chef de bataillon en 1803, colonel en 1805, général de brigade en 1811.
Laurent Schobert est Commandeur de l’Ordre Royal de la Légion d’Honneur en décembre 1805, nommé baron d’Empire en 1809, Chevalier de la Couronne de fer en 1811, Chevalier de Saint-Louis en 1814.
Peu avant son arrivée à Blandy, le général Schobert commande toujours la 2ème brigade de la 31ème division, en garnison à Berlin qui revient à Stettin en mars. Le lieutenant HERBAULT, son beau-père, est son aide de camp et ils sont tous deux faits prisonniers le 5 décembre 1813, jour de la reddition de la place de Stettin. Laurent Schobert fait partie des premiers départs des prisonniers de guerre des campagnes de Saxe, le 25 mai 1814. Il rentre en France le 18 juin 1814 après être resté cinq mois en captivité (Napoléon est à Fontainebleau le 4 avril 1814).
Mise à la retraite – Conditions de vie de Laurent Schobert
L’ordonnance du 12 mai 1814 est suivie d’une commission de classement. Laurent Schobert, est classé « demi-solde ». Il écrit sept courriers au ministre de la Guerre en 1814 et 1815, relevés par Pascal Schobert aux Archives Militaires de Vincennes :
« […] Cinquante-deux ans d’âge, trente-six années de service, vingt campagnes, père de famille, sans fortune, voilà ma position » […] « J’ai de la famille, point de fortune, comme la plupart des militaires, qui ont servi avec honneur et probité » […] « enfermé dans une ville pendant dix mois et six mois prisonnier de guerre ont empêché de poursuivre mes intérêts » […] « Trente-six ans de service sans interruption, vingt campagnes, une conduite sans reproche, honnête homme, père de famille, je n’ai ni maison ni un pouce de terrain, j’ai perdu le peu d’économie que j’avais, voilà ma position ».
Ses courriers d’un militaire impérial sont restés sans réponse. Il demande toutefois la Croix de Saint-Louis qui lui est remise en 1815. Avec le retour de l’Empereur, le baron d’Empire Laurent Schobert sollicite un emploi et il est envoyé à Strasbourg pour participer à la constitution de la Garde nationale du Bas-Rhin.
Après la période des Cent jours et l’ordonnance du 15 août 1815 tous les gradés ayant atteint 55 ans ou 30 ans de service, sont mis à la retraite d’office. Laurent Schobert est mis à la retraite à partir du 1er janvier 1816. Il bénéficie d’une pension de 4 000 francs et obtient une autorisation pour s’installer à Blandy alors que la loi imposait un retour dans le département de naissance, mais Sarrelouis est aux mains des Prussiens.
Sa situation financière ne s’améliore pas et il réclame toujours des arriérés qui lui sont dus : appointement de 9 mois, gratification accordée pour sa promotion à maréchal de camp qu’il n’a pas touchée, frais de retour en 1814, la liste est longue.
L’inventaire de la succession en mai 1846 suite au décès du baron survenu le 30 avril 1846 à l’âge de 83 ans, enregistre une prisée totale du mobilier de 2 323 francs, y compris une ménagère en argent prisée 642 francs que le baron avait emportée avec lui à Paris à la fin de sa vie chez sa fille épouse Turpin. La deuxième partie de l’inventaire « Analyse des titres et papiers » révèle un Actif de 2 479,06 francs, un Passif de 1 113,85 francs. La maison sera vendue aux époux LECOQ pour 7 900 francs.
La descendance du baron Schobert ne demeurera pas à Blandy. L’aîné des garçons, héritier du titre de baron, Laurent Joseph Henri SCHOBERT (1813-1878), sera militaire comme son père, lieutenant-colonel et officier de la Légion d’Honneur. Le dernier fils, Oscar Laurent SCHOBERT (1826-1855) né à Blandy, capitaine dans la Marine et chevalier de la Légion d’Honneur décède à 29 ans au Pirée.
[1]
Voir le site de Pascal Schobert – introduction de sa thèse.